Textes

Malik Choukrane

1942. « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » Meursault, le narrateur de l’Etranger se rend en autocar, à l’hospice, près d’Alger. Il veille le cercueil toute la nuit comme c’est la tradition. Lors des funérailles, il ne montre aucun chagrin. Relire Camus et réaliser.

1976. Aujourd’hui, personne n’est mort. Ou alors je ne sais pas. Pour la première fois, je dors sur la terre de mes ancêtres Kabyles, une des nombreuses tribus berbères. Les berbères, ce sont les autochtones de l’Afrique du Nord, depuis les Canaries à l’ouest (Ganches) jusqu’à l’Egypte à l’est (oasiens de Siwa, Isiwan) et du Sahel saharien au sud (Touaregs) jusqu’à la Méditerranée au nord (Chaouis, Chleuhs, Rifains, Kabyles …).

(…)

Rapidement un décès survient dans le village voisin. Mais mon oncle semble réticent à m’emmener. Alors j’attends.
J’attends la mort … ou plutôt, j’attends une mort. Une mort Kabyle avec ses rites spécifiques, dont la représentation traditionnelle se révèle étrangère à celles de l’islam. En quête de signes identitaires, je photographie des enterrements pour déterrer mes racines.

La sensation est bizarre, j’ai la vive sensation d’être un vautour. Pour l’instant, rien ne répond réellement à mon projet.
Je décide alors de me pencher sur les vivants, ceux-là même qui sont en flagrant délit de vie.

(…)

Robert Herouet

Tout est parti de la pourriture du corps, de l’horreur de la décomposition du cadavre.

De cette horreur sont issues, depuis la nuit des temps, les premières pratiques funéraires imaginées et réalisées par l’homme.  L’impureté du corps en décomposition, ressentie comme contagieuse, impose un traitement particulier du cadavre.  Il importe de précipiter cette décomposition (charognards) ou de l’empêcher (embaumement). Il importe surtout de la cacher (dans la terre) ou de s’en débarrasser (crémation).  Aucun groupe humain, n’abandonne ses morts ou ne les abandonne sans rites.  Ils sont confiés à la terre, au feu, à l’eau, ou même au ciel.  Ils ne sont surtout pas délaissés.  Ce non-abandon implique une prise de conscience qui reconnaît la mort comme un évènement et ne veut la nier comme anéantissement …..

L’étude comparative des pratiques funéraires de diverses sociétés, entreprise sous la direction de Maurice Godelier (La mort et ses au-delà, 2014), montre des schémas de pensées semblables face à la mort.  Elle révèle de nombreuses pratiques rituelles communes, tout autant pour rendre hommage aux défunts et leur faciliter une potentielle nouvelle existence, que pour protéger les proches et renforcer la communauté.  Ces « invariants »semblent constituer une sorte de tronc commun, de socle archétypal, à partir desquels ont été élaborées, au cours des temps, de multiples variations culturelles par les différentes civilisations.  Parmi ces schémas de pensées « invariants » présents dans de nombreuses traditions, citons …

Roland de Bodt
PREMIER CHEMIN

Aussi,
toute notre vie
nous marchons
à reculons
vers la mort

Nous lui tournons le dos
pour ne pas lui faire
face

Où que nous courrions
pour la fuir, nos pas se précipitent vers elle
Quoique nous entreprenions
pour lui échapper, c’est à son triomphe qu’oeuvre
notre geste

Nous aimerions vivre comme si elle n’existait pas
Et c’est à un point tel
que nous finissons par nous croire tels :

« Immortels, mes amis !
Immortels, je vous invoque
Soyez mes convives, dans les jardins de la vie
— Champagne ! »

Au soir de notre vie
baignée d’aurores tendres
d’aubes mordorées

Nous voici surpris à notre tour

De la retrouver, la mort
au détour de nos voyages
vigilante et silencieuse, patiemment
assise à l’orée du chemin
dans le bruissement
des bois

Et tandis qu’à pas lents et hésitants
— de reculons en reculons —
nous nous rapprochons
de ce moment
si prévisible de notre disparition

Alors, cet instant si certain devient celui
de notre plus grand étonnement
muet

À raison de cet usage si commun
sous la voûte étoilée de nos passions, que
toute notre vie nous marchions
à reculons vers la mort

Délibérément